Joseph
Zobel, un ami
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Chez
Zobel le sentiment de l’imposture raciale, de l’injustice sociale, de la
solitude de la tendresse dans la Caraïbe, est parvenu à transcender les
banalités exotiques du populisme et du « doudouisme ». Zobel est un
classique des littératures caribéennes. Son « purgatoire » actuel ne
va pas durer. Il a de la chance de pouvoir compter sur votre brillante
fidélité.
René Depestre à propos de « Joseph
Zobel, Le cœur en Martinique et les pieds en Cévennes », José Le Moigne,
Ibis Rouge éditions 2008
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La rencontre
— Vous ne savez pas où est Monsieur Le Moigne ?
Je lève la tête et je le reconnais au milieu de son
aréopage. Il est petit, sec comme une liane, et c’est un euphémisme de dire
qu’il ne fait pas son âge. D’abord son élégance est rare et fleure l’exigence,
non de paraître, mais d’affirmer le respect qu’il porte aux autres et à
lui-même. Il porte une veste bouton d’or de parfaite facture tranchant sur un
pantalon sombre, mais pas noir. Le coordonné a fait l’objet d’une longue réflexion.
Il va sans dire que la cravate est également du meilleur goût. Même sa Légion
d’honneur, qu’il porte pourtant avec fierté, n’a rien d’ostentatoire. Son
visage me semble beaucoup moins buriné que sur la photographie de Richard
Bruston qu’il aime pourtant beaucoup. C’est elle que l’on voit en couverture de
ses œuvres poétiques, en définitive, peut-être son livre préféré : le soleil m’a dit… J’ai eu cette photographie sous les yeux toute la journée
ce qui me permet de dire, que s’il y a un point qu’elle révèle à la perfection,
c’est l’acuité, la bonté infinie, l’humanisme profond du regard de Joseph.
Avant même qu’il m’ait parlé, c’est cela que je remarque, moi aussi. Enfin, le
portrait ne serait pas complet si je ne parlais pas de son chapeau, un feutre
qu’il porte avec autorité, comme le portait sans doute — mais ce n’est là
qu’une hypothèse — le régisseur de sa rue cases-nègres.
Juste retournement des choses !
Enfin, et j’en aurais fini avec cette vague esquisse,
j’ignore si c’est une coquetterie pour effacer ses cheveux blancs où une
possible calvitie, Zobel a le crâne rasé comme les jeunes nègres d’aujourd’hui.
Cela lui donne un air juvénile qui fait conjecturer de ce que pouvait être sa
prestance du temps de sa jeunesse. Je me dis vaguement qu’il devait ressembler
au footballeur Lilian Thuram.
Mea culpa. Pas plus que vous et moi, Zobel n’est entouré
par un aréopage. Seulement, quand je l’ai vu apparaître, nimbé de son prestige,
ce fut un tel vertige que j’ai cru sincèrement que tous les Antillais qui
naviguaient devant le stand étaient venus lui faire escorte.
Descends, Moïse, et va vers le
rivage,
Parle au vieux roi du peuple
égyptien.
Dis-lui que Dieu t’a sorti d'
l’esclavage,
Go down, Moses … Dès
que je l’ai vu, l’antique spiritual m’est monté à la gorge. Mais trêve de
poncifs, trêve d’alléluias. Joseph ne
se prend ni pour le messie ni pour Moïse ; et ce n’est pas parce qu’il est
bientôt nonagénaire et qu’une foule de jeunes gens se presse autour de lui
qu’il va changer de politique. Cependant, il ne peut empêcher son visage
d’irradier et un visage noir qui rayonne au milieu d’autres visages
noirs, c’est l’Afrique qui renaît ; c’est le chant du griot qui
éclate sous la froideur des néons. Joseph voudrait qu’on lui fiche la paix ;
il ne revendique aucun rôle et aucune mission sinon celle d’être un écrivain.
Pourtant, dans le monde incertain où nous vivons, ce monde d’autistes où la
parole ne passe plus, sans l’avoir aucunement cherché, il a pris la place de
Médouze, son vieil ami conteur de la Rue
cases-nègres qui, bien avant que l’école ne prenne la relève, lui donna ses
premières leçons. Leçons de vie et de présence au monde. Valeurs humanistes
qui, que l’on soit au pays où ici, nous valent de tenir debout.
Comment rêver d’une autre filiation ? Dans notre
imaginaire, Zobel, fils de Médouze et de la République, est le terreau des
origines et chacun de ses livres un miroir dans lequel nous nous reconnaissons.
Il dit et il rassure.
©José Le
Moigne
Joseph
Zobel, le cœur en Martinique et les pieds en cevennes
Ibis
Rouge éditions 2008
Photo par Dominique Lancastre |
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