Écrire français, penser créole
Le poème vient du plus secret, du plus intime, du plus blessé de l’âme. Il ne s’écrit pas avec la langue du présent mais avec celle du vécu que l’on croyait oubliée mais qui circule, comme une souterraine témoigne de ses anciens méandres, au plus profond de nous. J’ai appris le monde en créole ; j’ai appris à marcher en créole ; j’ai appris à parler en créole ; la perception du monde, avec une acuité d’autant plus forte que la petite enfance est avant tout un maelstrom de sensations, me fut offerte avec les mots de la langue créole. Et puis j’ai quitté l’île. J’avais trois ans. Partir est hélas le sort de beaucoup de créoles. Ma langue maternelle s’est effacée de mon quotidien et de ma bouche, mais pas de mon esprit. J’affirme même que si je suis poète, c’est pour continuer à penser et d’une certaine manière m’exprimer en créole, avec des mots français, mais ça ne change rien au fait. Voilà pourquoi mon cher Igo Drané, lui le conteur, lui le marqueur des échos-monde, me dit lorsque nous travaillons ensemble qu’il ne traduit pas mes poèmes en créole mais qu’il les remet en forme parce que ma langue originelle est là, présente dans le repli des mots. Je pense en créole et j’écrits en français. Je n’ai pas de mérite. Cette manière de fidélité m’est nécessaire pour avancer sur mon chemin de vie et d’écriture.
©José Le Moigne
Août 2012
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